jeudi 2 mars 2017

Les Seigneurs de Bohen, de Estelle Faye

Titre : Les Seigneurs de Bohen
Auteur : Estelle Faye
Éditeur : Critic
Parution : mars 2017
Illustration : Marc Simonetti
612 pages
25 euros

Synopsis :
« Je m’appelle Ioulia La Perdrix. Mon récit commence il y a près de cent ans, à l’époque où Iaroslav le Juste siégeait sur le trône de Bohen. Sur les hauteurs des monts des Sicambres, par une glaciale nuit d’hiver, une abbaye brûlait… » 

Je vais vous raconter comment l’Empire est mort. 

L’Empire de Bohen, le plus puissant jamais connu, qui tirait sa richesse du lirium, ce métal aux reflets d’étoile, que les nomades de ma steppe appellent le sang blanc du monde. Un Empire fort de dix siècles d’existence, qui dans son aveuglement se croyait éternel.

J’évoquerai pour vous les héros qui provoquèrent sa chute. Vous ne trouverez parmi eux ni grands seigneurs, ni sages conseillers, ni splendides princesses, ni nobles chevaliers… Non, je vais vous narrer les hauts faits de Sainte-Étoile, l’escrimeur errant au passé trouble, persuadé de porter un monstre dans son crâne. De Maëve la morguenne, la sorcière des ports des Havres, qui voulait libérer les océans. De Wens, le clerc de notaire, condamné à l’enfer des mines et qui dans les ténèbres découvrit une nouvelle voie… Et de tant d’autres encore, de ceux dont le monde n’attendait rien, mais qui malgré cela y laissèrent leur empreinte.

Et le vent emportera mes mots sur la steppe. Le vent, au-delà, les murmurera dans Bohen. Avec un peu de chance, le monde se souviendra.

Critique :

Fait extraordinaire, je vais avec la présente chronique doubler mon activité de blogueur par rapport à l'an dernier. Pour me sortir de cette léthargie, il me fallait un roman extraordinaire. (Conclusion : le roman que je vous présente en ce moment est ce fameux roman.) J'ai déjà eu l'occasion de vous le teaser dans ma précédente chronique (je cite : "en mars, je frissonne du coup de tonnerre qui arrive"). Il s'agit du dernier né de l'imagination d'Estelle Faye : Les Seigneurs de Bohen.

Je pense sincèrement qu'Estelle Faye nous livre ici un texte qui deviendra un "classique" de la fantasy française tant j'ai été impressionné. J'y ai vu beaucoup, vraiment beaucoup de bonnes choses. D’une part une plume, toujours aussi rafraichissante de par son style, et de par son ton. D’autre part des personnages, aussi divers et variés qu’attachants. Enfin, une histoire, classique et pourtant surprenante. Dans Les Seigneurs de Bohen, je vois une sorte de synthèse de Joe Abercrombie et ses univers sombres traversés par des personnages charismatiques, de Jean-Philippe Jaworski pour la richesse de l’écriture et la qualité du style, ainsi que de Loïs MacMaster Bujold pour l’humanité des personnages.

Détaillons un peu en revenant à un point auquel je suis en général particulièrement sensible : les personnages. Dans le cas présent, il s’agit indéniablement d’un des immenses points forts du récit. Les personnages sont tous, sans exception, intéressants. Alliés à la subtilité de l’écriture et de la pensée d’Estelle Faye, cela donne des personnages profonds et puissants, parfois en peu de mots, parfois avec des développements plus poussés quand cela concerne les principaux héros, à savoir Sainte-Étoile le guerrier, Maëve la sorcière et Wens le clerc de notaire. J’ai trouvé par ailleurs le dosage du nombre de personnages vraiment nickel. Le patchwork est suffisamment étoffé pour apporter une diversité de points de vue et une complexité scénaristique, sans pour autant être constamment abreuvé de nouveaux personnages qui rendraient le récit trop confus.

Par le biais de ces personnages, nous allons naviguer d’un point à un autre du récit de la chute de l’Empire de Bohen. Plus encore, nous allons, tel un navire en mer, traverser un univers foisonnant qui, toujours, saura nous apporter des surprises. On vit les rebondissements de nos protagonistes. Vraiment, Estelle Faye a su créer un monde riche et passionnant, en parvenant à maintenir une cohérence générale qui pousse à la curiosité. Si à l’avenir l’idée lui venait d’écrire de nouveau dans cet univers, sans nul doute aura-t-elle de la matière sous la main tant cela m’a paru vaste.

J’en reviens à la comparaison avec Abercrombie, qui me semble être la référence présentant le plus de proximité avec Les Seigneurs de Bohen, dans cet exercice des correspondances toujours un peu périlleux. Une noirceur certaine rapproche ces deux univers, mais c’est aussi – j’y reviens très souviens – la présence de personnages charismatiques et abimés par les événements qui donne le sel de l‘histoire. Néanmoins, et c’est là où je fais un rapprochement avec Loïs MacMaster Bujold et de son cycle de Chalion, je vois une approche un peu inverse dans l’écriture. Abercrombie a tendance à présenter des personnages qui, de base, sont présentés comme des anti-héros. Estelle Faye adopte une approche plus subtile, plus humaine, où ses héros ne sont pas lisses, portent des tourments forts, et pourtant sont difficilement classables dans la catégorie bien badass des anti-héros. Est-ce que pour autant ça leur enlève de la saveur ? Entre Glotka (Abercrombie) et Cazaril (MacMaster Bujold), je crois que je n’ai pas de préférence J


Je dérive en divers atermoiements dans ma chronique, donc je vais tenter de conclure afin de vous donner envie de vous précipiter sur cette lecture, car c’est un livre qui mérite d’être lu aussi vite que possible. J’ai été bluffé. Je connaissais le talent de l’auteure. Seulement, cela n’offre pas la garantie d’une telle lecture. Il y a une maîtrise du rythme qui fait que l’on ne s’ennuie jamais lors de la lecture de ce pavé de près de 600 pages. On se trouve emporté par la force créatrice d’Estelle Faye, par son style, par ses personnages, par son univers, par son histoire, par un tout. Peut-être y a-t-il des points faibles dans ce texte, mais je ne les ai pas vu tant il y a de points forts. Je ralentissais ma lecture pour profiter de tous les détails, pour bien m’imprégner comme j’avais pu le faire en lisant Gagner la Guerre de Jean-Philippe Jaworski. On ressent une auteure qui se lâche et nous offre un récit plein de panache (un peu sanglant par ailleurs, le panache :p). Foncez !