lundi 1 mai 2017

Kalpa Impérial, d'Angélica Gorodischer

Titre : Kalpa Impérial
Auteur : Angélica Gorodischer
Éditeur : La Volte
Parution : avril 2017
Illustration : Stéphanie Aparicio
Traduction : Mathias de Breyne
246 pages
20 euros

Synopsis :
Une fable, un conte au souffle épique, un roman tissé d’histoires entrelaçant les naissances et les chutes d’un empire, « l’Empire le plus vaste qui ait jamais existé ». Kalpa Impérial est un livre universel et visionnaire, écrit par une très grande auteure argentine, injustement méconnue en France. Traduit dans le monde entier, notamment en anglais par Ursula K. Le Guin, ce chef-d’œuvre inclassable fait songer au cycle de Gormenghast de Mervyn Peake ou aux Villes Invisibles d’Italo Calvino.

Critique :

Voici un petit bijou à classer parmi les O.L.N.I (Objet Littéraire Non Identifié) qui nous vient tout droit d’Argentine grâce aux éditions La Volte. À ranger du côté du rayon « fantasy pas comme les autres ». Car Kalpa Impérial n’est pas un roman comme les autres, on s’en rend bien compte dès la première phrase, une bien longue phrase qui prend presque une page complète. Pas le temps de dire « outch ! » que voilà notre regard qui enchaine sur la deuxième phrase puis la troisième, la quatrième, la cinquième, etc., jusqu’à ce que le narrateur nous serve son histoire. Un style très énumératif, donc. Très oral aussi, puisque le narrateur se trouve être le personnage principal de cet entrelacement de plusieurs fable au sujet de cet empire millénaire. Et cette transcription dans un style très oral contribue à cette proximité avec nous, le lecteur. Passée la surprise, l’auteure nous livre un texte extrêmement fluide et passionnant !

Parlons un peu de ce fil conducteur : le narrateur. Ou plutôt le « conteur de contes » comme c’est  si joliment dit. C’est ce personnage qui fera le ciment de ce fix up (un roman élaboré à partir d’histoires courtes). D’une histoire à une autre il nous fera voyager dans cet empire énigmatique, nous contant le récit d’une ville, d’un empereur, d’une impératrice. Le matériau est vaste et saura vous embarquer à tous les coups. Jamais le narrateur ne nous laissera à la dérive, toujours il retiendra l’attention de nous, son auditoire transformé de manière brut en lectorat.

Ce livre ne saurait être un petit bijou qui souffle un vent de fraîcheur sur la fantasy sans un fond. Tout le long des récits qui nous sont racontés est parsemé de véritables leçons de vie. On peut accoler le terme de « fables » à toutes ces histoires sur cet empire. Pourtant, si la morale est parfois mise en avant, jamais l’aspect moralisateur est présent. Peut-être dis-je une bêtise à ce sujet, mais dans tous les cas, j’ai su être conquis par la subtilité du propos que nous sert Angélica Gorodischer, auteure jusqu'ici inconnue pour ma part. Enfin, plus maintenant.


Kalpa Impérial est pour moi un énorme coup de cœur. Derrière sa bizarrerie première se cache une grande raconteuse d’histoire pour un grand livre au souffle unique, traitant de nombreux thèmes très contemporains et engagés de la manière la plus subtile : en écrivant des histoires captivantes. Je comprends mieux que ce texte ait attiré la curiosité de Déesse Ursula K. Le Guin. À  découvrir absolument !

jeudi 2 mars 2017

Les Seigneurs de Bohen, de Estelle Faye

Titre : Les Seigneurs de Bohen
Auteur : Estelle Faye
Éditeur : Critic
Parution : mars 2017
Illustration : Marc Simonetti
612 pages
25 euros

Synopsis :
« Je m’appelle Ioulia La Perdrix. Mon récit commence il y a près de cent ans, à l’époque où Iaroslav le Juste siégeait sur le trône de Bohen. Sur les hauteurs des monts des Sicambres, par une glaciale nuit d’hiver, une abbaye brûlait… » 

Je vais vous raconter comment l’Empire est mort. 

L’Empire de Bohen, le plus puissant jamais connu, qui tirait sa richesse du lirium, ce métal aux reflets d’étoile, que les nomades de ma steppe appellent le sang blanc du monde. Un Empire fort de dix siècles d’existence, qui dans son aveuglement se croyait éternel.

J’évoquerai pour vous les héros qui provoquèrent sa chute. Vous ne trouverez parmi eux ni grands seigneurs, ni sages conseillers, ni splendides princesses, ni nobles chevaliers… Non, je vais vous narrer les hauts faits de Sainte-Étoile, l’escrimeur errant au passé trouble, persuadé de porter un monstre dans son crâne. De Maëve la morguenne, la sorcière des ports des Havres, qui voulait libérer les océans. De Wens, le clerc de notaire, condamné à l’enfer des mines et qui dans les ténèbres découvrit une nouvelle voie… Et de tant d’autres encore, de ceux dont le monde n’attendait rien, mais qui malgré cela y laissèrent leur empreinte.

Et le vent emportera mes mots sur la steppe. Le vent, au-delà, les murmurera dans Bohen. Avec un peu de chance, le monde se souviendra.

Critique :

Fait extraordinaire, je vais avec la présente chronique doubler mon activité de blogueur par rapport à l'an dernier. Pour me sortir de cette léthargie, il me fallait un roman extraordinaire. (Conclusion : le roman que je vous présente en ce moment est ce fameux roman.) J'ai déjà eu l'occasion de vous le teaser dans ma précédente chronique (je cite : "en mars, je frissonne du coup de tonnerre qui arrive"). Il s'agit du dernier né de l'imagination d'Estelle Faye : Les Seigneurs de Bohen.

Je pense sincèrement qu'Estelle Faye nous livre ici un texte qui deviendra un "classique" de la fantasy française tant j'ai été impressionné. J'y ai vu beaucoup, vraiment beaucoup de bonnes choses. D’une part une plume, toujours aussi rafraichissante de par son style, et de par son ton. D’autre part des personnages, aussi divers et variés qu’attachants. Enfin, une histoire, classique et pourtant surprenante. Dans Les Seigneurs de Bohen, je vois une sorte de synthèse de Joe Abercrombie et ses univers sombres traversés par des personnages charismatiques, de Jean-Philippe Jaworski pour la richesse de l’écriture et la qualité du style, ainsi que de Loïs MacMaster Bujold pour l’humanité des personnages.

Détaillons un peu en revenant à un point auquel je suis en général particulièrement sensible : les personnages. Dans le cas présent, il s’agit indéniablement d’un des immenses points forts du récit. Les personnages sont tous, sans exception, intéressants. Alliés à la subtilité de l’écriture et de la pensée d’Estelle Faye, cela donne des personnages profonds et puissants, parfois en peu de mots, parfois avec des développements plus poussés quand cela concerne les principaux héros, à savoir Sainte-Étoile le guerrier, Maëve la sorcière et Wens le clerc de notaire. J’ai trouvé par ailleurs le dosage du nombre de personnages vraiment nickel. Le patchwork est suffisamment étoffé pour apporter une diversité de points de vue et une complexité scénaristique, sans pour autant être constamment abreuvé de nouveaux personnages qui rendraient le récit trop confus.

Par le biais de ces personnages, nous allons naviguer d’un point à un autre du récit de la chute de l’Empire de Bohen. Plus encore, nous allons, tel un navire en mer, traverser un univers foisonnant qui, toujours, saura nous apporter des surprises. On vit les rebondissements de nos protagonistes. Vraiment, Estelle Faye a su créer un monde riche et passionnant, en parvenant à maintenir une cohérence générale qui pousse à la curiosité. Si à l’avenir l’idée lui venait d’écrire de nouveau dans cet univers, sans nul doute aura-t-elle de la matière sous la main tant cela m’a paru vaste.

J’en reviens à la comparaison avec Abercrombie, qui me semble être la référence présentant le plus de proximité avec Les Seigneurs de Bohen, dans cet exercice des correspondances toujours un peu périlleux. Une noirceur certaine rapproche ces deux univers, mais c’est aussi – j’y reviens très souviens – la présence de personnages charismatiques et abimés par les événements qui donne le sel de l‘histoire. Néanmoins, et c’est là où je fais un rapprochement avec Loïs MacMaster Bujold et de son cycle de Chalion, je vois une approche un peu inverse dans l’écriture. Abercrombie a tendance à présenter des personnages qui, de base, sont présentés comme des anti-héros. Estelle Faye adopte une approche plus subtile, plus humaine, où ses héros ne sont pas lisses, portent des tourments forts, et pourtant sont difficilement classables dans la catégorie bien badass des anti-héros. Est-ce que pour autant ça leur enlève de la saveur ? Entre Glotka (Abercrombie) et Cazaril (MacMaster Bujold), je crois que je n’ai pas de préférence J


Je dérive en divers atermoiements dans ma chronique, donc je vais tenter de conclure afin de vous donner envie de vous précipiter sur cette lecture, car c’est un livre qui mérite d’être lu aussi vite que possible. J’ai été bluffé. Je connaissais le talent de l’auteure. Seulement, cela n’offre pas la garantie d’une telle lecture. Il y a une maîtrise du rythme qui fait que l’on ne s’ennuie jamais lors de la lecture de ce pavé de près de 600 pages. On se trouve emporté par la force créatrice d’Estelle Faye, par son style, par ses personnages, par son univers, par son histoire, par un tout. Peut-être y a-t-il des points faibles dans ce texte, mais je ne les ai pas vu tant il y a de points forts. Je ralentissais ma lecture pour profiter de tous les détails, pour bien m’imprégner comme j’avais pu le faire en lisant Gagner la Guerre de Jean-Philippe Jaworski. On ressent une auteure qui se lâche et nous offre un récit plein de panache (un peu sanglant par ailleurs, le panache :p). Foncez !

mercredi 1 février 2017

Sénéchal, de Grégory Da Rosa

Titre : Sénéchal
Auteur : Grégory Da Rosa
Éditeur : Mnémos
Parution : février 2017
Illustration : Lin Hsiang
320 pages
19,50 euros

Synopsis :
« Sénéchal, la ville est assiégée ! »

Telle est la phrase que l’on m’a jetée sur le coin de la goule. Depuis, tout part à vau-l’eau. Oui, tout, alors que ce siège pourrait se dérouler selon les lois de la guerre, selon la noblesse de nos rangs, selon la piété de nos âmes. Nenni.

Lysimaque, la Ville aux Fleurs, fière capitale du royaume de Méronne, est encerclée et menacée par une mystérieuse armée. Et pour le sénéchal Philippe Gardeval, ce n’est que le début des ennuis. Suite à l’empoisonnement d’un dignitaire de la cité, il découvre que l’ennemi est déjà infiltré au sein de la cour, dans leurs propres rangs ! Sous quels traits se cache le félon ? Parmi les puissants, les ambitieux et les adversaires politiques ne manquent pas ; le sénéchal devra alors faire preuve d’ingéniosité pour défendre la ville et sa vie dans ce contexte étouffant d’intrigues de palais.

Critique :

Il y a, parfois, des certitudes. Aujourd’hui, j’en ai une : 2017 sera une année qui verra défiler quelques bijoux de fantasy ! En juin, un petit bout d’une certaine chasse royale nous parviendra ; en mars, je frissonne du coup de tonnerre qui arrive ; et encore plus tôt dans le temps, en février – maintenant – un petit nouveau dans le paysage de l’édition. Ce petit nouveau qui nous occupe, m’enfin, qui m’occupe mais qui va bientôt vous occuper parce qu’il m’occupe et que je le porte et le porterais encore et encore de manière insistante à votre attention – vous pouvez reprendre votre respiration – c’est Sénéchal, de Grégory Da Rosa.

               Autant vous le dire, ce premier roman de l’auteur m’a véritablement emballé. Je n’avais plus connu cet emballement pour un nouvel auteur en fantasy depuis Porcelaine d’Estelle Faye, de mémoire en 2013, c’est-à-dire presque une éternité. Bien évidemment, il y a eu entre temps de bonnes surprises, pour passer de bons moments. Je pense par exemple au Bâtard de Kosigan de Fabien Cerutti, et d’autres encore. Mais point d’énumération ici. Ce qui distingue des autres Sénéchal et Porcelaine en premier lieu, c’est le style. Attention, je ne jure pas sur un sacro-saint style, il est tout à fait réalisable d’avoir du style et malgré tout de pondre quelque chose de mauvais, ou tout du moins d’accoucher d’un texte qui ne plaira pas, en termes plus pondérés. Nous sommes avec Sénéchal dans un cas manifeste d’un écrivain qui a toutes les qualités pour s’affirmer parmi les têtes connues de l’Imaginaire en France, grâce notamment à une plume affirmée, élégante et étonnamment – ou pas – fluide compte tenu de son caractère médiévalisant.

J’en oublie néanmoins d’ajouter que le style n’est pas qu’un étendard, bien loin s’en faut. Le style sert le récit. Le style permet une immersion. Le style est un outil, et Grégory Da Rosa en use à merveille. J’ose à peine insérer un petit reproche quant au nombre de notes de bas de page, qu’il eut peut-être fallu restreindre, ou bien renvoyer vers un glossaire. Il n’empêche, nous voilà plongé dans un univers tel que peut le faire un Jean-Philippe Jaworski, toute proportion gardée.

Seulement, il n’est pas uniquement question de style. Je m’enflamme beaucoup sur la chose dans le cas présent, pourtant, l’auteur parvient par là même à nous entraîner dans un univers a priori simple mais intéressant. On sent/imagine un arrière-plan fourni, en plus d’agencer une intrigue au suspense bien maîtrisé. Sénéchal nous expose en effet le siège d’une ville, – pas n’importe laquelle ! – Lysimaque, capitale du royaume de Méronne. Dans ce huis-clôt, le sénéchal Philippe Gardeval, défenseur de la cité et proche du roi, va se trouver au centre d’un joli pataquès délicieusement monté en sauce. Clairement, j’attends la suite pour en savoir plus !

Je voudrais encore dire tant de choses. Le personnage du sénéchal des plus attachants. Des anges bien badass. Des rebondissements qui vous surprendrons. Des rancœurs politiques jubilatoires. Je vous épargne la suite, je risquerais – encore – avec mon sens de la circonvolution, de la digression, de m’éterniser dans les compliments. Tout porterait à croire que Grégory Da Rosa nous offre un texte parfait. Il n’en est rien, et j’espère qu’il n’existera jamais de livre parfait. Pour autant, j’ai eu le sentiment à ma lecture de lire un parfait premier roman, dans le sens que le lecteur que je suis se trouve surpris et captivé, de manière la plus agréable possible.


Ainsi sera alors ma conclusion : attiré par le parfum suave de la surprise, me voilà qui fut happé dans une belle aventure, retorse à souhait sans pour autant manquer de sentiments humains. Sous le verni d’une belle écriture, un personnage retient notre attention, mais aussi une intrigue, orchestrée avec une maîtrise peu commune, d’autant plus pour une première expérience. Le temps est passé trop vite durant ma lecture de Sénéchal, vivement la suite !